1957 - Nice Time

Synopsis

Documentaire – Dans les grandes villes, la recherche du plaisir et du divertissement entraîne les gens vers des lieux où sont concentrées toutes les distractions qui répondent à leurs besoins.

A Londres, ce phénomène est particulièrement marqué, car le quartier animé est géographiquement délimité: il se restreint à Piccadilly Circus et à quelques rues adjacentes.

Nice Time est une série d’impressions sur la vie le samedi soir. Les réalisateurs voulaient représenter et mettre en scène la nuit dans la ville. Jean Vigo appelle cela adopter un «point de vue documenté».

(Sources: SwissFilms)

Photos du Film

(Sources : Swiss Films – Droits réservés Alain Tanner © British Film Institute)

Sur l’affiche : Trevor Howard, avec lequel il tournera 20 ans plus tard
« Lights Years Away »

(Sources : Swiss Films – Droits réservés Alain Tanner © British Film Institute)

Photos du tournage

(Claude Goretta, John Fletcher et, à droite, Alain Tanner sur le tournage de « Nice Time » en 1957)

Vidéo

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Analyse

L’analyse Nice Time par Christian Dimitriu

Financé par le fond pour la production expérimentale du BFI, ce film, composé d’environ 190 plans organisés en montage rapide, où l’image se conjugue de manière nouvelle avec le son pour donner à l’œuvre une signification plus riche que celle d’un simple documentaire, fut présenté pour la première fois au programme du Free Cinema Three, sous l’étiquette « Look at Britain », avec « Every Day Except Chrismas » d’Anderson. Le style est proche de celui de l’école documentariste anglaise inaugurée quelques années auparavant par John Grierson. Seulement, l’intention est différente : il refuse l’irresponsabilité sociale.

Le film donnait à l’époque l’impression d’une succession de prises de vue de gens et d’objets, de visages et d’expressions dont les images étaient perçues comme si elles étaient produites par une caméra en mouvement et ne laissait pas au spectateur le temps de poser son regard. Ce procédé avait pour but de rompre les codes du cinéma traditionnel anglais mais provoqua des réactions très violentes auprès du public. Or, en regardant le film presque 30 ans plus tard, on a l’impression que Tanner et Goretta n’ont fait que transcrire Piccadilly en images avec un réalisme plus fraternel et poétique que celui qu’une certaine presse qualifiait à l’époque de décadent. Le film fut tourné en vingt-cinq samedis soirs, durant lesquels Goretta, Tanner et Fletcher récoltèrent 2000 mètres de pellicule. Le montage dura quatre mois, la bande son représentant le travail le plus délicat. Le film est d’emblée placé sous le signe d’Eros. Il s’ouvre sur sa statue et l’image se déplace, sur une trajectoire oblique, vers un jeune couple qui se retrouve. Magnifique image. Formellement et du point de vue sémantique, le thème du film est Eros car, comme remarque justement « Lieve Spaas », la caméra tourne autour de la statue, les gens sont animés par la recherche d’Eros et « Nice Time » suggère, en anglais, le plaisir que promettent les belles de nuit. L’enseigne de Coca-Cola scintille pendant que la bande-son nous donne à entendre « God Save the Queen », juke-box et flippers, qui reviendront dans les films ultérieurs de Tanner. La poésie du film éclate malgrè la minceur des moyens engagés. En effet, ces images qui se heurtent et se succèdent avec un rythme très rapide ont su, à l’époque, donner à la présence de la foule une nouvelle signification au cinéma.

(Sources : « Tanner Alain » de Christian Dimitriu – « Collection cinéma – Henri Veyrier » – 1985)

Critique

L’avis des critiques britanniques

« Un horizon nouveau pour l’Angleterre »

Le NFT mérite toute notre gratitude, ne serait-ce que pour avoir diffusé les programmes du Free Cinema. Chacun d’eux apporte une contribution neuve et cruciale, que nous avons cherchée en vain dans leurs prédécesseurs. On ne saurait (Dieu merci) leur imposer l’étiquette « documentaire ». […] Leur facteur commun, ce n’est pas tant leur réalisme que la poésie ou la satire qui émane de ce réalisme. Seule leur intensité peut conférer profondeur et relief à un écran plat, aux images éphémères. Cette intensité à laquelle ne peuvent prétendre les fabulations colorées des grands studios génère une vision pleine d’acuité.

(New Statesman and Nation, 25 mai 1957)

« Il est évident que cet univers est le nôtre. En captant ses divers aspects — l’anonymat de cette vie urbaine, ces silhouettes prises dans une errance solitaire, englouties dans la solitude plus vaste de la foule, ces plaisirs atroces et mécaniques ou, à l’inverse, inspirés et créatifs — les cinéastes nous forcent à une prise de conscience qui fait choc. Comment expliquer que ces images, le reflet de notre époque, aient tant tardé à occuper nos écrans ? Si nous fouillons nos souvenirs, quelques fragments remontent à la surface : les films de Jennings, la séquence de danse dans Listen to Britain, l’enterrement au bord de la Tamise dans Fires Were Started. Mais l’atmosphère n’était pas la même. Ces plaisirs et ces tragédies solitaires étaient vécus sur fond de guerre, de mobilisation générale, et on laissait entendre qu’ils avaient un sens et un but. Rappelons-nous les entretiens en caméra cachée avec les habitants des quartiers défavorisés, dans « Housing Problems » : là encore, il y avait un horizon social, une ferveur militante, l’espoir d’un quartier assaini, de nouveaux habitats. Aujourd’hui, la guerre est finie, et la paix n’est pas au rendez-vous. Nombre de ces « figurants » habitent des foyers meilleurs et plus neufs. Et la tristesse demeure. C’est l’isolement qui prévaut pour l’individu, la foule, la société des loisirs : c’est ce qu’on ressent à voir le programme du Free Cinema, et c’est peut-être la raison pour laquelle ces films se complètent de façon criante. « C’est le monde, tel qu’il est », disent les réalisateurs en citant Dylan Thomas. « Il faut avoir la foi… »

(Sight and Sound, printemps 1956
Sources : coffret DVD « Free Cinéma » de Christophe Dupin et Cécile Farkas – www.doriane-films.com)

Contexte

L’avis des critiques britanniques

Né à Genève le 6 décembre 1929, Alain Tanner suit des études universitaires en sciences économiques et crée le Ciné-Club universitaire avec Claude Goretta en 1951. Il trouve, en 1952, un emploi de purser – boursier, comptable – dans la marine marchande suisse à Gênes, et navigue sur les côtes de l’Afrique en cargo pendant plusieurs mois. De retour en Suisse, il effectue en 1955 un stage d’un mois à la télévision alors naissante avant de s’installer à Londres au cours de la même année. Il travaille au British Film Institute à l’archivage et au sous-titrage de films, puis au service documentaire de la BBC, et fait la connaissance de Lindsay Anderson et de ses amis du Free Cinema.

(Sources : « Histoire du cinéma suisse de 1962 à 2000 » sous la direction d’Hervé Dumont et de Maria Tortajada – Editions Cinémathèque suisse et Gilles Attinger – 2007)

« Mon ami Claude Goretta, qui avait créé à Genève le Ciné-Club universitaire auquel je m’étais joint alors, s’ennuyait ferme en Suisse, et je l’ai fait venir à Londres. Nous avons tourné ensemble un court métrage pour le mouvement Free Cinema, « Nice Time », qui nous a valu un prix au Festival de Venise. Le pied était mis dans l’étrier. Mais la chose la plus importante a été la rencontre avec Lindsay Anderson, qui était avec Karel Reisz l’initiateur du Free Cinema. Je dois énormément à Lindsay, le cinéaste m’a beaucoup appris, et notre amitié a été pour moi un moment capital dans ma vie et dans mes débuts de cinéaste. Notre court métrage était projeté avec un film de Lindsay, « Every Day Except Christmas », documentaire sur la nuit dans les halles de Covent Garden, et qui est un chef-d’œuvre. Je mesure aujourd’hui notre chance, à Claude Goretta et à moi, d’avoir débarqué de nulle part et de nous être retrouvés au cœur d’un mouvement dont on a oublié aujourd’hui l’importance, mais qui a révolutionné le cinéma anglais. »

(Alain Tanner – « Ciné-Mélanges » Editions du Seuil – www.seuil.com – 2007)

Le contexte du Free Cinéma

Nice Time

Vers le milieu des années 50, deux jeunes Suisses cinéphiles, Claude Goretta et Alain Tanner, travaillaient au BFI où ils croisèrent les représentants du Free Cinema. Le succès remporté par les deux premiers programmes les décida à tenter leur chance et à chercher un financement pour leur propre documentaire, un court-métrage sur les divertissements du samedi soir à Picadilly Circus. Ils obtinrent une minuscule subvention de l’Experimental Film Fund (240 £) et embauchèrent le multitalentueux John Fletcher comme caméraman-et-preneur-son.

Historique 1956-1959

Le Free Cinema regroupe sous une même appellation six séries de courts documentaires projetés au National Film Theatre de Londres (NFT) entre février 1956 et mars 1959. Tournés par de jeunes cinéastes, ils formaient les trois programmations britanniques (« Free Cinema », « Free Cinema 3 : un regard sur l’Angleterre », « Free Cinema 6 : derniers films »). Les trois autres présentaient des cinéastes étrangers.

Derrière ce terme, il y a d’abord des raisons pratiques. Au début de l’an 1956, Anderson et ses amis Karel Reisz, Tony Richardson et Lorenza Mazetti s’efforçaient non sans peine de faire connaître leurs films : aussi choisirent-ils de les diffuser ensemble dans une même programmation. Ils s’étaient vite rendus compte que ces créations individuelles avaient une indéniable « communauté de point de vue ». Anderson inventa l’expression « Free Cinema » (Cinéma libre) et ils rédigèrent un manifeste commun pour expliciter leurs idées. Si l’appellation ne devait servir que pour cette seule soirée, ce fut un tel « coup de pub » — la programmation, qui fit salle comble, fut largement répercutée par la presse — que cinq programmes supplémentaires furent diffusés sous la même étiquette au cours des trois années suivantes.

Une vision nouvelle du métier

Ce qui caractérise en premier lieu le Free Cinema, c’est une vision nouvelle du métier de cinéaste qui tranchait avec l’orthodoxie conservatrice du cinéma dominant et du documentaire (tel qu’il fut institué dans les années 30 par John Grierson). Les jeunes réalisateurs reprochaient notamment aux réalisateurs britanniques des années 50 d’ignorer royalement le vécu de leurs contemporains et de véhiculer des stéréotypes condescendants. Ils affirmaient par opposition leur « foi en la liberté, le respect des individus, l’importance du quotidien ». Leurs films s’efforçaient de remettre à l’honneur un regard objectif, parfois critique, toujours empreint d’un respect affectueux pour les « gens ordinaires » dans leurs heures de travail ou de loisir. En même temps, ils défendaient la liberté du cinéaste et son droit à exprimer un point de vue personnel à travers son œuvre — « aucun film ne saurait être trop personnel », ainsi se terminait leur premier manifeste — et son engagement en tant qu’artiste et commentateur de la société dans laquelle il vit.

Autre dénominateur commun, et non des moindres : tous ces films furent réalisés en marge de l’industrie cinématographique. Ils furent produits dans des conditions de semi-amateurisme, tournés pour la plupart sur une pellicule 16 mm, avec l’aide (souvent bénévole) de techniciens enthousiastes et doués comme le caméraman Walter Lassally et le preneur/monteur de son John Fletcher. Dans leur générosité active, ces deux pionniers surent tisser un lien entre la plupart des réalisateurs du Free Cinema et renforcer la crédibilité de ce mouvement. Le financement vint des réalisateurs eux-mêmes (comme Anderson pour O Dreamland) ou de petites subventions accordées par deux sponsors qui laissèrent carte blanche aux cinéastes. Le BFI Experimental Film Fund, un petit budget du British Film Institute consacré depuis 1952 à financer des films novateurs, profita à six des films en question. La Ford Motor Company sponsorisa deux des productions les plus ambitieuses, « Tous les jours sauf Noël » d’Anderson, et « C’est nous les gars » de Lambeth de Reisz.

Il importe enfin de replacer le Free Cinema dans la mouvance culturelle générale des années 50 (dont il fut du reste la première manifestation publique), avec sa nouvelle génération d’écrivains décidés à remettre en cause l’ordre socioculturel. Les « jeunes gens en colère », comme on les appelait, représentaient en premier lieu les classes assujetties et se livraient à une critique virulente des institutions britanniques et de leur hypocrisie.

(Sources : coffret DVD « Free Cinéma » de Christophe Dupin et Cécile Farkas – www.doriane-films.com)

Par Alain Tanner

Dossier de présentation du film

« La recherche du divertissement et de l’évasion pousse les gens à se rassembler en un endroit où, comme dans toutes les villes, sont concentrés les divers moyens de satisfaire à ces besoins. A Londres, le phénomène est particulièrement frappant car le centre des amusements n’occupe qu’une surface très limitée : Piccadilly Circus et les rues environnantes.

« La statue d’Eros domine la foule du samedi soir. Les gens font la queue devant les cinémas pendant que les portiers crient les prix des places. Les vendeurs ambulants offrent leur camelote. Des jeunes gens déambulent en quête d’aventures. Pour certains, le spectacle est la rue elle-même et ses immenses enseignes lumineuses… Onze heures : l’hymne national marque la fin des spectacles. Lentement la foule se dirige vers le métro. Un employé annonce bientôt la dernière rame. Après minuit, des groupes demeurent : filles, marins, soldats américains que la police essaie de disperser, sans beaucoup de succès. Aux premières heures du matin, quelques insatisfaits restent et attendent.

« Nice Time est une série d’impressions sur la réalité du samedi soir. Une réalité que nous avons interprétée pour en dégager une signification et présenter ce que Jean Vigo appelait : un point de vue documenté. »

(Claude Goretta, Alain Tanner,1957 – Sources: Alain Tanner-John Berger, Tome 23, Coll. Théâtres au Cinéma, Bobigny 2011)

À Lindsay Anderson

Lindsay Anderson est mort à la fin du mois d’août. Même si nos rencontres s’étaient espacées dans le temps, il était resté un ami fidèle depuis notre première rencontre en 1956.

Je lui dois énormément et c’est pourquoi je ne peux manquer d’évoquer brièvement son souvenir. À l’époque je faisais des petits boulots au British Film Institute à Londres. Le mouvement Free Cinema venait de se créer, essentiellement de par son impulsion, et c’est grâce à lui que j’ai pu en faire partie, et tourner en compagnie de Claude Goretta, mon premier court métrage. J’avis alors vingt-cinq ans et j’ai eu la chance unique de pouvoir « entrer en cinéma » en sa compagnie, avec son appui – aussi matériel – et ses conseils. Et en même temps d’entrer dans le monde, car le Free Cinema était un maillon dans une chaîne qui débordait le cinéma pour toucher aussi le théâtre, la littérature et la politique. On imagine mal aujourd’hui ce qu’était le cinéma anglais de l’époque, dans quel climat de conformisme bourgeois et de quasi-nullité formelle il baignait. Le Free Cinema se fit en réaction violente contre tout l’establishment politique et culturel et Lindsay Anderson en était le leader – très charismatique – incontesté. Il avait fondé (avec Karel Reisz entre autres) Sequence qui fut une des meilleures revues de cinéma en langue anglaise. De là partir les premiers coups de boutoir contre l’industrie du cinéma anglais d’alors, qui aboutirent aux films des années 50-60 qui mériteraient d’être revisité aujourd’hui. Critique, polémiste, puis grand cinéaste et metteur en scène de théâtre, Lindsay Anderson aura marqué profondément toute une génération de créateurs dans son pays. Et au-delà.

Salut Lindsay, je n’oublierai jamais ma dette envers toi, le poète écossais sentimental et virulent, qui mettait tant d’intelligence et de cœur dans ses relations et son travail.

(Alain Tanner, Cahiers du cinéma n°484, 1984 – Sources: Alain Tanner-John Berger, Tome 23, Coll. Théâtres au Cinéma, Bobigny 2011)

Fiche technique

Titre : Nice Time / Piccadilly
Année : 1957 Genre : documentaire expérimental
Scénario : Alain Tanner et Claude Goretta
Réalisation : Alain Tanner et Claude Goretta
Montage : Alain Tanner et Claude Goretta
Photographie : John Fletcher
Son : John Fletcher
Musique : Chas. McDevitt Skiffle Group
Montage : –
Sortie : –
Prix : mention spéciale dans la catégorie court-métrage expérimental au Festival de Venise 1957 et Prix du court métrage expérimental au Festival del film Locarno 1957
Production : British Film Institute Experimental
Funding : Londres
Distribution : Rialto Film AG
Format : 16mm b / 19 minutes – noir / blanc
Tournage : en 25 samedis soirs à Piccadilly
Droits mondiaux : BFI
Version originale : IT

(Sources : « Ciné Mélanges » – Swiss Films – Doriane Films)

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